La CEDEAO pour un retour à l’ordre constitutionnel au Mali
La CEDEAO pour un retour à l’ordre constitutionnel au Mali
i. Face au non-respect, par les Autorités de la Transition Militaire du Mali, desengagements pris vis-à -vis de la CEDEAO pour un retour à l’ordre constitutionneldans les délais acceptés, et après plusieurs appels lancés au Gouvernement deTransition militaire restés sans suite, la Conférence des Chefs d’Etat et degouvernement de la CEDEAO a pris, en date du 9 janvier 2022, des sanctions à l’encontre du Mali conformément aux dispositions légales et règlementaires del’institution.
ii. La Commission de la CEDEAO souhaite, à travers cette note, clarifier les raisons quifondent la prise desdites sanctions et rappeler à toutes fins utiles que la CEDEAOdemande seulement aux Autorités de la Transition Militaire de permettre auxMaliens de choisir eux-mêmes leurs dirigeants à travers des électionsdémocratiques.
iii. En effet, les différents Sommets des Chefs d’Etat et de Gouvernement de laCEDEAO relatifs à ce sujet ont déploré un manque de volonté politique de la partdes Autorités de la Transition Militaire ; ce manque de volonté se traduitnotamment par l’absence de progrès tangibles dans la préparation desélections, en dépit de la disponibilité manifestée par la CEDEAO et l’ensembledes partenaires régionaux et internationaux à accompagner le Mali dans lecadre de ce processus de normalisation.
A- Soutien constant de la CEDEAO au Mali pour une sortie de crise
1. Il convient de rappeler que la CEDEAO accompagne le Mali dans un processus desortie de crise depuis les évènements socio-politiques consécutifs aux électionslégislatives d’avril 2020, qui ont été suivis par le coup d’État d’Aout 2020 ayant misfin au régime du Président Ibrahim Boubacar Kéita.
2. Par ailleurs, avant le coup d’Etat d’août 2020, lors de la crise socio politique d’avril à juin 2020, S.E.M. Goodluck Ebele Jonathan, Médiateur de la CEDEAO pour le Mali, arencontré à plusieurs reprises tous les acteurs socio-politiques, les chefs religieux etla société civile, en vue d’apaiser les tensions et trouver une solution à cette crise.Malheureusement, l’intransigeance de certains acteurs sociopolitiques quiestimaient que la seule solution à la crise était la démission du Président IbrahimBoubacar Kéita a exacerbé les tensions et a abouti finalement à un coup d’Etat.
3. Dès le coup d’Etat du 18 août 2020, des sanctions ont été imposées au Mali par laCEDEAO, et des négociations ont été engagées avec les Autorités Militaires pour unretour à l’ordre constitutionnel. Ces négociations ont abouti, le 15 septembre
2020 à Accra, à un accord sur la mise en place d’une transition civile avec la
nomination d’un Président civil en la personne du Président Bah N’Daw, et desélections devant se tenir le 27 février 2022, soit une transition de 18 mois.
4. Ainsi, à partir de septembre 2020, le processus de transition s’est déroulénormalement. Le gouvernement de transition du Président Bah N’Daw a fourni unchronogramme sur la base duquel il a initié les actions visant à préparer la tenue desélections à la date convenue du 27 février 2022. Un Comité de suivi local comprenantles Représentations de la CEDEAO, de l’Union Africaine, des Nations Unies et desAmbassadeurs du Ghana et du Nigeria a été mis en place à Bamako pouraccompagner localement la transition.
5. Malheureusement, dès la survenue du nouveau coup d’Etat le 24 mai 2021, ladynamique et les objectifs des nouvelles Autorités de la Transition Militaire ontradicalement changé ; celles-ci ne faisant plus du respect du calendrier électoral unepriorité, entraînant un ralentissement notoire de la mise en œuvre des activitésdevant aboutir aux élections pour une sortie de crise définitive.
6. Au mois d’août 2021, au regard de cette situation et face à un risque de dérapage ducalendrier électoral, le Médiateur de la CEDEAO pour le Mali s’est rendu à Bamakoafin de discuter avec les Autorités de la Transition Militaire d’un nouveauchronogramme électoral indiqué par lesdites Autorités pour l’organisation desélections. Ce nouveau chronogramme initialement promis pour septembre 2021, n’afinalement été communiqué à la CEDEAO que le 31 décembre 2021, après lesAssises Nationales, avec une demande de prorogation de la transition militairede cinq (5) ans. Notant que cette proposition est totalement contraire auxengagements et accords sur le sujet et en violation des dispositions légales etrèglementaires ; que l’approbation d’un tel chronogramme pourrait avoir desconséquences sur la stabilité du Mali et de la Région et soucieux de trouver unesolution concertée, la CEDEAO a demandé à son Médiateur de retourner à Bamakole 5 janvier 2022 pour inviter les Autorités Militaires à revoir ce chronogramme. Enretour, celles-ci ont proposé le 8 janvier 2022 d’étendre la transition militaire de 4ans, après avoir déjà passé 18 mois au pouvoir.
7. En proposant d’organiser les élections en décembre 2025, les Autorités de laTransition ne respectent ni leurs engagements actés dans la Charte de la Transition,ni ceux conclus avec la CEDEAO. Au surplus, cette proposition équivaut à une duréetotale de la transition de cinq ans et demi ; ce qui excède celle d’un mandatprésidentiel constitutionnel normal au Mali et dans la Région.
8. Les autorités militaires prétextent de la nécessité de mettre en œuvre des réformespour justifier la prorogation de la Transition et se maintenir au pouvoir sansélection démocratique. Les réformes sont nécessaires et indispensables dans toutpays pour progresser, qu’il soit en crise politique ou non. Leur mise en œuvreparticipe d’un processus continu et permanent, conduit par les gouvernementssuccessifs, en vue de s’adapter aux nouvelles conditions de son environnement.Ces réformes ne peuvent donc pas être un préalable, voire une condition
indispensable pour l’organisation des élections. En outre, certaines réformesdoivent être engagées par des gouvernements légitimes issus d’un scrutintraduisant la volonté du peuple.
9. Concernant la situation sécuritaire prévalant au Mali, il convient de rappeler quece point a été pris en compte dès le début de la transition, lors des discussions avecles Autorités Militaires le 15 septembre 2020 à Accra avec la création d’un poste deVice-Président chargé de la sécurité. En outre, il convient de noter que la questionsécuritaire ne saurait être un argument pour ne pas aller aux élections. En effet,le Niger, le Burkina Faso et le Nigéria, trois autres pays subissant des attaquesterroristes, organisent régulièrement des élections, malgré un contexte sécuritairequasi identique à celui du Mali. Enfin, dans un contexte sécuritaire difficile, le rôledes forces armées est justement de défendre le territoire national contre lesattaques terroristes.
10. Dès lors, cette posture des Autorités de la Transition Militaire laisse clairemententrevoir une volonté de se maintenir au pouvoir pendant une durée de plus de 5ans, privant ainsi le Peuple malien de son droit légitime à désignerdémocratiquement, de manière libre et transparente, ses dirigeants.
B- Contribution de la CEDEAO à la stabilité de ses Etats membres
11. L’accompagnement que la CEDEAO apporte au Mali n’est pas différent de celuiqu’elle a déjà apporté à d’autres Etats membres se trouvant dans des situationssimilaires de rupture de l’ordre constitutionnel. La période des coups d’Etat pouraccéder au pouvoir d’Etat est révolue aux plans régional, continental etinternational. La CEDEAO s’est résolument engagée à respecter et faire respecter leprocessus démocratique comme seule option d’accession et d’exercice du pouvoird’Etat.
12. D’autres faits majeurs dans le secteur de la paix et de la stabilité à travers l’envoi demédiateurs et de troupes, sont également à mettre à l’actif de la CEDEAO. On peutciter, pour mémoire, le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Burkina Faso en
2014 par une transition de 12 mois ayant abouti à des élections démocratiques endécembre 2015. Dans le même ordre, l’on notera l’installation au Niger, après le coupd’état de 2010, d’une transition qui a duré 14 mois. La Gambie et la Guinée Bissauont aussi bénéficié de l’appui de la CEDEAO
C- A propos des sanctions
13. Les sanctions constituent des instruments pour amener les Etats membres à respecter leurs obligations librement consenties du fait de leur adhésion à laCommunauté. Elles sont allégées, voire supprimées, dès lors que les autorités desrégimes de transition donnent des gages tangibles d’avancement dansl’organisation des élections. Des sanctions ont été imposées au Libéria (1996), en
Sierra Leone (1997), en Guinée (2009), en Côte d’Ivoire (2010), au Niger (2010), enGuinée Bissau (2012), et la force en attente a été mobilisée en Gambie (2017). Ceci acontribué à restaurer la démocratie.
14. Ces sanctions, il faut le rappeler, ne concernent pas les produits alimentaires degrande consommation, les produits pharmaceutiques, les matériels et équipementsmédicaux y compris ceux pour la lutte contre la Covid-19, les produits pétroliers etde l’électricité, le gel des avoirs de la République du Mali dans les banques centralesde la CEDEAO et de l’UEMOA, etc. Les exceptions faites pour les produits de base etde grande consommation visent à épargner les populations.
15. Dans le cas du Mali comme dans les cas évoqués plus haut, la CEDEAO attend desAutorités Militaires de la Transition un calendrier raisonnable et réaliste pour latenue des élections. Les sanctions seront levées progressivement sur la base dece chronogramme et de sa mise en œuvre diligente et satisfaisante. Cette levéedes sanctions dépend de la volonté politique des Autorités de la TransitionMilitaire d’organiser les élections dans un délai raisonnable.
D- Du risque de déstabilisation potentielle de la Région
16. Ainsi, accepter la proposition des Autorités Militaires du Mali telle que formulée,ferait peser un risque majeur sur le Mali et également un risque de déstabilisationgrave sur la Région toute entière de l’Afrique de l’Ouest, avec la jurisprudence ainsicréée. La Communauté ne saurait s’accommoder d’une telle pratique qui, au-delà de créer l’instabilité, constituerait un recul majeur dans tous les domaines.
17. En conclusion, la CEDEAO reste très attentive sur l’évolution de la situation,disponible et ouverte au dialogue pour accompagner le Mali vers un retour à l’ordreconstitutionnel à travers des élections crédibles et transparentes, organisées dansun délai raisonnable et acceptable.
La Commission